Au delà du procès du meurtre de Vanesa Campos, la loi de 2016 en question

Fin janvier s’est achevé le procès du meurtre de Vanesa Campos, une travailleuse du sexe péruvienne tuée en août 2018 au Bois de Boulogne. L’affaire met aussi en lumière les divergences sur la loi de 2016 de pénalisation des clients.

Samedi 29 janvier en fin d’après-midi s’est achevé le long et éprouvant procès des meurtriers de Vanesa Campos. La cour d’assises de Paris a condamné deux hommes d’origine égyptienne, Mahmoud Kadri et Karim Ibrahim, à 22 ans de réclusion criminelle pour « meurtre en bande organisée ». Ces condamnations, supérieures aux réquisitions de l’avocat général, ont été bien accueillies par les parties civiles. Six autres hommes jugés depuis le 11 janvier ont été condamnés par la cour d’assises.

Un procès important

« Les proches sont satisfaits que leur perte soit constatée par la juridiction », a confié à Komitid Maitre Chirine Heydari, avocate de la famille de la victime, bien que le jugement ne soit pas définitif. Maitre Fares Aidel, l’avocat de Karim Ibrahim, a en effet annoncé que son client faisait appel de la décision du tribunal. Interrogé sur les motivations de son client à faire appel, l’avocat nous a indiqué ne souhaiter faire « aucun commentaire à l’issue du verdict ».

A 36 ans, Vanesa Campos avait perdu la vie dans le Bois de Boulogne, à Paris, lors d’une « expédition punitive » menée par un groupe d’individus au cours de laquelle elle avait été visée par un tir d’arme à feu. Le pistolet, appartenant à un policier, avait été dérobé dans les jours précédents le meurtre. La jeune femme, qui avait alerté à plusieurs reprises les autorités policières sur l’existence d’un groupe d’hommes qui avait pris l’habitude de racketter les prostituées et leurs clients, était allée jusqu’à embaucher un garde du corps pour se protéger, en vain.

Des parties civiles aux points de vue distincts

Outre la famille, se sont constituées parties civiles deux associations, Acceptess-T et le Mouvement du Nid.

A Acceptess-T, association de santé communautaire trans et féministe, où on refuse de communiquer comme une « victoire » les condamnations en première instance, une femme ayant perdu la vie, c’est le sentiment de colère qui domine. Pour Giovanna Rincon, directrice de l’association fondée en 2010, ce procès a été une épreuve. « Ça a été très violent, très éprouvant pour nous », nous confie-t-elle. Elle qui regrette « qu’on ait très peu parlé de la dignité » fustige les méthodes du Mouvement du Nid qui a profité d’une « tribune » pour « gagner de la place, présenter des données sur l’exploitation » et promouvoir ce qu’elle qualifie de « féminisme de bureau ».

Le Mouvement du Nid, association en faveur de l’abolition de la prostitution en France, a quant à lui déclaré sur son site par l’intermédiaire de son avocate, Lorraine Quastieux, que « la violence [était] inhérente au système prostitutionnel ». La directrice du mouvement, Claire Quideux, a ajouté par communiqué de presse que c’était la « prostitution qui [était] responsable [des féminicides prostitutionnels], certainement pas la loi ».

La loi de pénalisation des clients en question

Cette loi qu’évoque la directrice du Mouvement du Nid est celle « visant à renforcer la lutte contre le système professionnel ».

Votée le 13 avril 2016, elle a pour objectif un « changement de paradigme » et pénalise les clients de la prostitution. S’ils sont arrêtés par la police, ceux-ci risquent 1 500 euros d’amende et jusqu’à 3 750 euros en cas de récidive. Avant l’établissement de cette interdiction d’achat sexuel, c’était les travailleur·ses du sexe et non leurs clients qui étaient visé·e·s par la loi avec une « pénalisation du racolage élargie ».

Une précarisation des travailleur·ses du sexe

Cette loi qui cristallise aujourd’hui les tensions est jugée inadaptée par plusieurs associations. Celles-ci considèrent qu’elle entraine de facto la précarisation des travailleur·ses du sexe.

Interrogée par Komitid, Cybile Lespérance, porte-parole du Strass, le syndicat du travail sexuel, estime que cette loi «  repousse les TDS dans les marges » les rendant ainsi la cible de « raquetteurs violents ».

Parce que la loi de 2016 oblige les travailleur·ses du sexe qui exercent dans la rue à se cacher, au risque sinon d’exposer leur client, ils et elles se retrouveraient à travailler dans des endroits reculés, avec peu d’éclairage. Une situation qui met en danger les prostituées pour Cybile Lespérance, avec des violences en bande organisée « qui se sont exarcerbées ».

Cette constatation semble être partagée par l’évaluation de la loi du 13 avril 2016, réalisée en décembre 2019 par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en lien avec l’Inspection de la justice et l’Inspection de l’administration. A l’alinéa 2.2.1, ce rapport officiel pointe la tendance est à une « aggravation de la précarité des personnes qui se prostituent dans la rue ».

Toujours dans ce rapport, il est écrit que « le nombre de faits [de violence] est sous-estimé parce qu’une proportion importante de personnes se livrant à la prostitution ne souhaiteraient pas déposer plainte par crainte des conséquences sur leur vie quotidienne (révélation de leur activité à leurs proches ou leur bailleur, absence de titre de séjour…) ».

Des clients plus agressifs

L’année précédant ce rapport, la chercheuse Hélène Le Bail (Sciences Po – CERI – CNRS) s’était déjà penchée, avec Calogero Giametta sur l’impact de la loi dans le cadre d’une enquête. Après avoir interrogé 583 travailleur·ses du sexe, elle avait constaté que 88 %  des personnes consultées étaient opposé·e·s à la loi. Encore plus alarmant, 38 % des travailleur·ses du sexe avaient affirmé rencontrer plus de difficultés à imposer le port du préservatif.

Auditionné en avril 2021 lors d’une table ronde organisée par la délégation sénatoriale aux droits des femmes, Pierre Lelouergue, de l’Igas, dresse le même constat. « On voit de plus en plus de négociations venant du client sur le port du préservatif car ils estiment qu’avec la pénalisation du client, c’est maintenant eux qui prennent les risques ».

Alors que le gouvernement mise actuellement sur une réduction de la prostitution dans le pays, les associations de défense des travailleur·ses du sexe plaident majoritairement pour une abrogation de la loi de 2016. Certaines revendiquent plus largement une décriminalisation de la prostitution combinée à un accès au droit commun.

En clair, résume Cybile Lespérance, « la loi complique des existences ». Elle empêche de se loger, de travailler à plusieurs, d’avoir accès à des soins médicaux, d’être protégé…

A la volonté d’abolir la prostitution défendue par le Mouvement du Nid, Giovanna Rincon oppose la réalité du terrain. L’urgence pour elle, c’est la lutte contre la pauvreté et la protection des travailleur.ses du sexe, notamment trans. Et puis que fait-on de ces « centaines de personnes qui ne veulent pas sortir de la prostitution ? », s’interroge-t-elle.

Un terrain d’entente possible ?

Malgré de nombreux désaccords, Giovanna estime que le dialogue est possible sur certains sujets. En particulier au sujet du trafic des êtres humains, qu’elle souhaite abolir tout comme le Mouvement du Nid et de la prostitution des mineurs. Les deux associations ont mis en place des parcours qui aident et accompagnent les travailleur·ses du sexe qui souhaitent sortir de la prostitution.

Lors de sa dernière campagne de communication, le mouvement du Nid-Rhône a affirmé recevoir « presque cinq demandes de PSP (parcours de sortie de la prostitution) par semaine ».

Aujourd’hui, ce que constate de nombreux·ses activistes, c’est que « la situation ne s’est pas améliorée », ni depuis 2016 et la loi, ni depuis 2018 et l’assassinat de Vanesa Campos. « D’autres morts sont à déplorer depuis celle de Vanesa » certifie Maitre Chirine Heydari.

Depuis le 18 aout 2018, jour de la mort de Vanesa Campos, de nombreuses nouvelles victimes ont été recensées par les associations. Année après année, les violences envers les travailleur·ses du sexe continuent.

 

Article Komitid

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